La société de l’information au XXIème siècle : Enjeux, promesses et défis

Article publié dans le numéro de Ramsès 2000 de l'Institut Français des Relations Internationales (Ifri). Ce texte est publié avec l'aimable autorisation de l'Ifri et de Dunod.

 

ramses2000La société de l’information est en train de naître et avec elle de nouveaux pouvoirs, de nouveaux enjeux et de nouveaux défis. Fondées sur l’exploitation et la distribution de l’énergie, les sociétés industrielles sont des " sociétés de croissance ". Avec l’avènement de l’imprimerie, du téléphone et de la télévision, puis récemment des réseaux comme Internet, naissent les " sociétés d’intelligence ". Il ne s’agit plus seulement de conquérir, de stocker et de distribuer l’énergie, mais surtout de conquérir, de stocker et de distribuer de l’information. Sur quoi se fonde l’entrée dans la société de l’information et quels en sont les enjeux économiques, politiques et culturels ?

Pour tenter de répondre à ces questions, il convient d’abord de considérer les nouveaux outils de communication, leur convergence et leur intégration ; puis d’analyser les conséquences des nouvelles formes d’échanges électroniques et leur impact sur les relations avec les usagers ; de rendre compte de l’émergence des nouveaux pouvoirs en rupture avec les structures pyramidales traditionnelles ; d’évaluer les effets de la société de l’information sur les organisations, l’éducation et la personnalisation des échanges ; enfin, de tenter de décrypter les faits porteurs d’un avenir proche au tournant du millénaire.

1. De l’ordinateur personnel au réseau : convergence technologique et intégration

De la société de l’énergie à la société de l’information 

Il est intéressant de mettre en parallèle le développement des sociétés fondées sur l’énergie et celui de la société de l’information. Les combustibles fossiles et les moteurs ont été les catalyseurs du développement industriel et économique des pays développés. De manière analogue, l’écriture, l’imprimerie, la poste, le téléphone, la télévision, l’ordinateur et maintenant Internet sont les accélérateurs du développement de la société de l’information. De même que l’électricité constitue une sorte de " monnaie commune " dans cette économie de l’énergie, favorisant les interrelations entre différents secteurs, fluidifiant les échanges industriels et économiques, permettant les adaptations les plus variées aux contraintes du développement et de l’environnement, l’information est transparente. Elle est fournie par des réseaux à différents débits provenant de divers secteurs. Dans la société de l’énergie, l’électricité arrive à la prise et l’essence à la pompe. Dans la société de l’information, Internet arrive désormais " à la prise ". 

Il existe cependant une différence fondamentale entre les deux. Obtenir, stocker et distribuer de l’énergie conduit à la perte irréversible de cette énergie lorsqu’elle est utilisée. Elle se dégrade en entropie. Au contraire, la conquête, le stockage et la distribution de l’information mènent à davantage d’informations lorsque celles-ci sont échangées, comparées, recréées. Il en résulte un effet d’amplification et de synergie caractéristique de la société de l’information. De plus, les technologies de l’information ne se remplacent pas de manière linéaire et séquentielle. On ne peut plus, en s’y référant, parler de technologies de substitution ou même de technologies d’addition, mais plutôt de technologies d'intégration. Par exemple, l’automobile remplace la charrette tirée par des chevaux, mais le principe fondamental reste le même : quatre roues, un moteur, jadis animal, aujourd’hui thermique. Le caméscope se substitue à la caméra à film chimique. Le télex est remplacé par le fax. En revanche, Internet correspond typiquement à une technologie d’intégration. L’écrit, l’image fixe, la vidéo, la communication interactive caractéristique du téléphone, s’intègrent au sein du système technologique constitué par Internet. 

On devrait donc plutôt parler de " système technologique complexe " lorsque l’on se réfère au réseau des réseaux et en particulier au web, plutôt que de l’assimiler, comme on le fait trop souvent, à une " nouvelle technologie de l’information et de la communication " (NTIC). S’il est relativement facile de comprendre comment les technologies classiques se situent les unes par rapport aux autres ou s’additionnent à celles qui existaient déjà, il est plus difficile de comprendre et surtout d’utiliser les technologies d’intégration : chacune d’entre elles continue de fonctionner dans son univers, mais leur synergie constitue un nouvel espace de développement et d’interaction, un nouveau paradigme.

La société de l’information fonde ainsi son développement sur la convergence technologique : convergence entre ordinateurs, réseaux de télécommunications et protocoles d’échanges entre machines. L’ordinateur était considéré jusqu’à présent comme une machine à traiter l’information. Les termes de calculateur, d’ordinateur ou de computer sont caractéristiques de cette approche. Aujourd’hui, et de plus en plus dans l’avenir, l’ordinateur personnel devra être considéré comme une machine à communiquer : " un communicateur personnel multimédia ". Il devient ainsi l’outil carrefour de la société de l’information.

De même que le téléphone a bouleversé la communication personnelle et professionnelle en permettant, à tout instant, des communications bilatérales entre individus, de même ce " combiné " que représente l’ordinateur portable va changer radicalement les modes de communication interactifs. Le combiné téléphonique est constitué d’un écouteur, d’un micro et d’un clavier réunis en un même système. Le communicateur personnel multimédia qu'est devenu l’ordinateur se présente, lui aussi, sous la forme d’un combiné : écran, clavier, souris, lecteur de cédérom, modem sont les éléments qui permettent d’interagir avec un environnement distant. L’ordinateur personnel moderne est un téléphone multimédia et Internet son domaine d’expansion. Une autre caractéristique fondamentale de la société de l’information est représentée par les protocoles d’échanges entre ordinateurs. Ce que l’on appelle, parfois à tort, " le réseau Internet " est en réalité un ensemble d’ordinateurs reliés par un protocole standard (TCP/IP, Transfer Control Protocol/Internet Protocol) permettant de partager des ressources à l’échelle mondiale en utilisant principalement les 700 millions de lignes du réseau téléphonique. Le protocole TCP/IP, lié au re-routage dynamique des paquets, constitue un moyen puissant d’intercommutabilité entre des ordinateurs très différents. Si on lui adjoint les hyperliens, les navigateurs et le web, on se trouve en présence d’un réseau maillé, très capillarisé, d’une forte densité permettant la création de plateformes de communication variées. 

Les bouleversements de la société de l’information 

Il est nécessaire d’adopter une nouvelle logique de la complexité et de la complémentarité pour bien saisir les avantages, les inconvénients et les enjeux que représente le réseau des réseaux au sein de la société de l’information. La force des réseaux interactifs multimédias, réside dans le partage des ressources entre ordinateurs multiples. Trois concepts renforcent ce potentiel : l’intercommutabilité, l’interopérabilité et l’intercréativité. Ces termes fournissent la clef de la capacité du développement explosif d’Internet. Ils permettent mariages et interactions à tous les niveaux de la société de communication. Ces interconnexions ont un effet d’amplification qui accélère le développement d’Internet. L’intercommutabilité favorise les relations entre des outils appartenant à des plateformes différentes telles que téléphones, ordinateurs portables ou " main frames " (serveurs). L’interopérabilité autorise les connexions entre réseaux différents, à bas ou moyens débits, réseaux câblés, satellitaires ou hertziens. Ces différentes caractéristiques constituent une rupture technologique et même philosophique dans la société de l’information. 

Pour la première fois dans l’histoire, une personne peut commuter un signal arrivant sur son site vers un autre site se trouvant parfois dans un pays éloigné. Jusqu’à présent, cette capacité était réservée à des organisations nationales ou transnationales de télécommunication. L’usager écrit une adresse sur une enveloppe ou compose un numéro sur un clavier et laisse ensuite l’organisation concernée commuter sa lettre, son paquet ou son appel téléphonique vers son correspondant. L’utilisateur n’est pas responsable du système d'interface le reliant à son interlocuteur. En revanche, il devient responsable du lien qu’il crée entre son site Internet et celui de ses correspondants. Il suffit pour cela d’insérer sur sa page web un ou plusieurs hyperliens vers d’autres sites. Un usager parvenant sur cette page pourra ainsi se trouver commuté vers un site distant, par un simple " clic " de souris. Cette étonnante et nouvelle capacité d’interconnexion des réseaux donne une dimension particulière à la société de l’information naissante en responsabilisant les personnes, nœuds des réseaux, mais engendre en même temps de nouvelles formes de déviances.

Un autre bouleversement se prépare avec l’avènement de ce que l’on pourrait appeler les réseaux personnels mobiles (en anglais PN : " personal network ") qui permettent de relier sans fil des appareils isolés. Ce changement va de pair avec l’essor des outils portables spécialisés dans un certain nombre de fonctions précises : appareils de photos et caméras numériques, scanners à main, téléphones portables, imprimantes, magnétoscopes et, bien sûr, ordinateurs portables. Le problème réside dans la nécessité de connecter entre eux ces différents appareils, afin qu’ils puissent échanger des protocoles ou des services. De nouveaux logiciels tel " Jini " de Sun Microsystems permettent les interactions entre ces outils. Il se crée ainsi un réseau personnel de communication qui se déplace avec son usager tout en restant connecté aux autres réseaux. Dans la nouvelle société de l'information, les moyens de communication interpersonnels se renforcent avec la possibilité de traitement de l’information en temps réel pour des applications personnelles ou professionnelles. 

Cette évolution vers le réseau personnel de communication prolonge celle qui a été entreprise dans les années 70 avec l’avènement du " time sharing ", les réseaux partagés. La première étape de l’évolution de l’ordinateur a été représentée par des machines puissantes et isolées, connectées à des terminaux locaux. La seconde étape a vu l’avènement des réseaux en temps partagé : un ordinateur puissant est connecté à des terminaux aux fonctionnalités limitées. Ces terminaux passifs ont été remplacés par les micro-ordinateurs personnels interconnectés en réseau dans l’entreprise. Ce fut l’apparition de la relation " clients-serveur ". Avec les développements d’Internet au début des années 90, des micro-ordinateurs personnels et des ordinateurs puissants se sont trouvés réunis par un protocole commun tirant profit des moyens de télécommunication pour le partage des ressources. L’intelligence du réseau et sa capacité à traiter des informations ont conduit à la nécessité d’ordinateurs plus simples, aux fonctionnalités plus limitées mais capables de télécharger des fonctionnalités présentes sur les serveurs. Ce sont les ordinateurs de réseaux ou " network computers ". Aujourd’hui, et surtout demain avec l’accroissement de la puissance des outils mobiles de communication, ordinateur ou téléphone, le réseau personnel va s’imposer grâce à l’intercommutabilité des différents outils. Ainsi vont naître de nouveaux défis dans la société de l’information, liés au renforcement du pouvoir des personnes et des groupes utilisant ces réseaux de communication et de traitement de l’information.  

2. Les paradoxes de la société de l’information

L’évolution du phénomène Internet 

Les principales raisons du succès d’Internet sont la variété des informations que l’on peut y trouver, leur faible coût d’accès et la possibilité de naviguer facilement d’un site à l’autre. La montée en régime du phénomène Internet s’est produit en plusieurs étapes. Il a tout d’abord fallu accéder à la masse d’informations présentes sur les réseaux, et ce, grâce aux fournisseurs d’accès qui furent les premières entreprises à réaliser du chiffre d’affaire sur Internet. La seconde étape a vu l’apparition de logiciels spécialisés permettant de " surfer " sur cet océan d’informations proposé par Internet. On connaît le succès du Navigateur de Netscape et de l’Explorer de Windows. Une troisième étape a été représentée par la nécessité de chercher des informations sur Internet et de les retrouver rapidement. C’est l’avènement des moteurs de recherche aux noms désormais connus tels que Yahoo!, Excite ou Alta-Vista. Ces moteurs de recherche ont grandement facilité l’accès à la multitude des informations présentes sur le web et constitué progressivement des sociétés de services multifonctionnelles. La quatrième étape est constituée par ce que l’on appelle les " portails ", lieux de rendez-vous, points de convergence par lesquels on doit passer pour recueillir de l’information personnalisée sur le web. Aujourd’hui, en raison de la nécessité d’obtenir des contenus riches et intéressants sur ces portails, le concept originel évolue vers celui de " port d’attache " où l’on revient régulièrement. Enfin, la dernière étape, la plus récente, se fonde sur les agents intelligents aidant à retrouver des informations personnalisées sur le Net, des interfaces de plus en plus humanisées et le " push média " qui transforme le web en une multitude de canaux de télévision émettant des informations spécifiques à l’intention d’utilisateurs ayant précisé leur domaine d’intérêt.

Ces différentes fonctions ont transformé Internet en un nouvel espace d’échanges et de commerce, un " cyberespace-temps ", lieu de batailles industrielles et commerciales, voire politiques et culturelles. Ce cyberespace n’est pas seulement un environnement favorisant le commerce électronique. Il devient le point de passage obligé de tout commerce et de toute industrie au sens le plus large du terme. On a souvent considéré jusqu’à présent qu’Internet ne faisait que favoriser les ventes d’objets familiers comme des livres, des cédéroms, voire des billets d’avions, comme s’il s’agissait d’un média promotionnel complémentaire. On s’est aperçu par la suite que le commerce électronique concernait également des objets de plus grande importance comme des micro-ordinateurs, mais aussi des automobiles.

Aujourd’hui les secteurs qui connaissent le plus de succès sur Internet font intervenir des organismes financiers (banques, assurances, bourses), l’immobilier, les ventes aux enchères, l’habillement, l’alimentation, la santé, les loisirs… Toutes les activités industrielles et commerciales se trouvent donc concernées de près ou de loin par la mise en réseau des activités économiques. Les grandes administrations utilisent également le web pour entrer en contact avec leurs administrés et cette tendance va se renforcer dans les prochaines années. Des pays adoptent le web pour faire mieux connaître leurs avantages touristiques, industriels ou commerciaux. Même les hommes politiques choisissent désormais les outils de la société de l’information pour tisser de nouvelles relations avec leurs électeurs ou leurs administrés. Ces nouvelles relations nécessitent une attention constante aux demandes des correspondants. Rien de pire que d’ouvrir un site web sans être capable de répondre rapidement aux questions posées. De nouvelles organisations sont à mettre en place pour assurer le retour des informations vers les groupes ou les individus demandant des réponses personnalisées.

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Statistiques d’utilisation d’Internet

·153 millions d’internautes (87 États-Unis/Canada, 34 Europe, 26 Asie/Pacifique, 6 reste du monde). 500 millions en 2002

·25 millions de serveurs web. 110 millions fin 2000.

·320 millions de pages web. 1 milliard en 2000.
 

En France : ·450 000 serveurs web connectés (contre 1,26 million en Angleterre et 1,3 million en Allemagne). 4 millions d’utilisateurs (10 millions en 2001).

·15 millions d’enfants (45 millions en 2002). 38 % de " teenagers ". Pouvoir d’achat : 200 milliards de dollars.

·18 % de plus de 50 ans (moyenne : 5 heures/semaine).
 

Les 10 pays européens les mieux connectés (nombre de serveurs web)
1. Allemagne 1 300 000

2. Royaume-Uni 1 260 000

3. Pays-Bas 490 000

4. Finlande 460 000

5. France 450 000

6. Suède 380 000

7. Italie 330 000

8. Norvège 300 000

9. Espagne 250 000

10. Suisse 220 000
 

Évolution de l’e-commerce
  ·Business to Business : 17 milliards de dollars 1998. 327 milliards de dollars 2002.

·Voyages : 35 % des ventes en ligne en 2002.

·Billets d’avion : 800 millions de dollars ventes 98. 8.9 milliards de dollars 2002.

·Livres : 216 millions de dollars 1998. 2.2 milliards de dollars 2002.

·Chiffre d’affaire de Cisco sur Internet : 12 millions de dollars/jour (40 % du CA).

·Dell Computer : 7 millions de dollars/jour.

·Nombre de voitures neuves vendues sur Internet par Auto by Tel en 1999 : 2.200.000.

·Publicité sur Internet : France (1998) 113 millions de francs de revenus, soit 4 fois plus qu’en 1997. La France se place au 5e rang, derrière les États-Unis (environ 2 milliards de dollars de revenus publicitaires sur Internet en 1998), la Grande-Bretagne (7 à 8 millions de livres en 1998), l’Allemagne et la Scandinavie.

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Les paradoxes d’Internet 

Ces relations plus étroites et personnalisées permettent en partie, à la suite des expériences réalisées au cours des dernières années, de répondre à certaines des questions que l'on se posait au tout début de l’avènement de la société de l’information, en particulier aux nouveaux paradoxes naissant de l’usage d’Internet. Est-ce que la communication en réseau isole ou rapproche les êtres humains ? Faut-il un contrôle centralisé des contenus ou leur autorégulation par les usagers ? Où commence l’espace public et où finit l’espace privé ? La pratique du réseau des réseaux conduit-elle à une homogénéisation des langues et des cultures ou au contraire à plus de diversité ? Le réseau électronique va-t-il accroître ou réduire les déplacements physiques ? Internet sera-t-il dominé par la puissance des marchands ou au contraire favorisera-t-il les chances de l’individu ? 

Les paradoxes d’Internet tiennent à la logique binaire employée lorsque nous posons des questions de ce type. La société de l’énergie, le monde des objets physiques et des échanges matériels nous ont conditionnés à poser des questions en termes mutuellement exclusifs. La logique du ou nous enferme dans des alternatives irréductibles. En revanche, la logique du et s’ouvre à la complémentarité et permet de réduire les conflits. Les réseaux multimédias interactifs isolent et rapprochent à la fois. Ils doivent être en partie contrôlés par le haut, c’est-à-dire par les gouvernements, mais aussi par le bas, grâce à la mobilisation des usagers autour d’un certain nombre de valeurs et de contraintes. Il peut y avoir homogénéisation des langues et des cultures, notamment par la pratique répandue de l’anglais, mais en même temps on assiste à une émergence de la diversité et de la variété. De nombreux sites tiennent à utiliser la langue du pays où ils se trouvent. Des millions de pages personnelles fleurissent sur le web. Chacun cherche à s’exprimer à sa manière et selon ses goûts. Une personne ou un petit groupe d’individus peuvent, si leurs idées sont originales, lancer une entreprise qui pourra connaître un franc succès sur le web. Face aux grandes entreprises mondiales, il devient possible de créer sur Internet une " entreprise unipersonnelle multinationale ". Le paradoxe, c’est justement la chance offerte à un individu face aux risques croissants de monopolisation de secteurs entiers par quelques-uns, d’où l’importance de la pratique et de l’expérience résultant de l’usage des réseaux interactifs multimédias.  

3. L’impact organisationnel et économique de la société de l’information

Ces exemples montrent à quel point les enjeux politiques, culturels, économiques ou éthiques sont importants dans la société de l’information. La fluidité des échanges, l’ubiquité des utilisateurs, l’abolition des frontières, la vitesse de circulation des idées et la mobilité des hommes qui en résultent, bouleversent les usages traditionnels alliés à une politique refermée sur son territoire et se concentrant sur le court terme.

Une nouvelle gestion organisationnelle 

Déjà, on constate l’impact de la société de l’information sur les organisations, l’économie, la politique, l’éducation ou les transports. La structure des organisations change. La société de l’énergie s’est inspirée de modèles mécaniques pour construire ses organisations sociales et la hiérarchie de ses entreprises. Engrenages, rouages, niveaux de responsabilité imbriqués constituent les modèles de référence des organisations industrielles. Les grands organismes publics, les ministères sont souvent structurés selon ces modèles. La gestion de ces organisations complexes s’appuie sur la programmation des tâches et le contrôle des activités, selon le modèle taylorien.

Certains pays comme la France, habituée à une forme de gestion jacobine et colbertiste, connaissent des difficultés pour s’adapter à la société en réseau. La société de l’information met en évidence de nouvelles nécessités de gestion. De nouveaux modèles émergent. Plutôt qu’à des modèles mécaniques, on se réfère désormais à des modèles biologiques : tissus, organes, système nerveux font partie du vocabulaire contemporain lié à l’organisation des entreprises ou des institutions politiques. Dans la gestion moderne, la programmation des tâches est complétée par le pilotage des activités. Le manager fixe les objectifs, fournit les ressources financières et humaines et permet ainsi à ses équipes de piloter leur département ou leur direction vers l’objectif fixé, tout en s’informant en permanence des modifications de l’environnement grâce à des tableaux de bord adaptés. Les nouveaux modèles d’organisation font appel à des modules d’activités interconnectés plutôt qu’à des structures rigides. Le rôle des réseaux apparaît au premier plan. Le mode de gestion adapté à ces modules est la catalyse. Programmation, pilotage et catalyse sont les modes de gestion adaptés à la société de l’information. Ils tiennent compte de l’organisation des entreprises publiques ou privées, de leur interconnexion et de leur ouverture internationale. 

De plus, grâce à des réseaux internes de communication comme les intranets, la répartition des pouvoirs s’effectue sur de nouvelles bases. Avec l’usage des intranets, les structures s’aplatissent, la circulation des informations se fait plus rapide. Grâce à la veille concurrentielle ou à l’intelligence économique, l’entreprise se dote d’un système sensoriel lui permettant de prévoir les évolutions et les crises. Sa réactivité aux modifications de l’environnement, grâce à la responsabilisation de chacun par l’information, lui confère un grand avantage compétitif. Le sentiment d’appartenir à une équipe et de voir émerger l’intelligence collective du groupe motive les employés et renforce l’esprit d’entreprise. 

L’impact sur l’économie 

L’impact de la société de l’information sur l’économie se traduit par l’essor de la " net economy ", l’économie des réseaux. Les concepts traditionnels sur lesquels se fonde l’économie classique doivent être revus. Dans ces modèles , la valeur provient le plus souvent de la rareté : plus un bien ou un service est rare, plus il est cher. Les contraintes de l'économie classique conduisent à la loi des rendements décroissants : une entreprise conquiert un marché, elle se développe rapidement ; mais d'autres entreprises concurrentes souhaitent entrer sur ce marché, la compétitivité s'accroît, nécessitant de nouveaux investissements en matériels, réseaux de distribution, formation des hommes. Les marges bénéficiaires se réduisent, la courbe de croissance se rapproche d'une asymptote : on atteint la loi des rendements décroissants. 

En revanche, dans la société de l'information, la valeur peut résulter d'un bien ou d'un service largement partagé par les usagers. Les logiciels de navigation sur Internet ont été mis gratuitement à la disposition des utilisateurs. Il en est résulté une demande très forte de services et de produits nouveaux à forte valeur ajoutée sur lesquels se sont fondées les croissances des entreprises de haute technologie. Cette croissance peut s’effectuer de manière exponentielle par suite d'un effet cumulatif lié à la synergie entre des niches de marché nouvellement conquises. De tels effets d'amplification sont bien connus sur Internet. Les initiés les appellent des " cercle vertueux ". L'entreprise progresse par effet boule de neige. Le plus entraîne le plus et, après une phase de stagnation, l’entreprise décolle progressivement et atteint un rythme de croissance exponentiel. C’est ce que l’on appelle également la loi des rendements croissants, caractéristique de la nouvelle économie. Les entreprises qui réussissent passent des accords croisés avec d’autres entreprises complémentaires, leur apportant des compétences et un savoir-faire sur les mêmes marchés. Plutôt qu’une compétition systématique ou une coopération souvent passive, ces entreprises entrent en " coopétition ", une coopération compétitive profitable aux deux partenaires. Un autre terme souvent utilisé pour décrire cette forme de collaboration compétitive est le " win-win ", la stratégie du gagnant-gagnant. 

On voit ainsi que la société de l’information conduit à de nouvelles formes de pratiques économiques, de croissance industrielle et de coopération interentreprises. De plus, nombreuses sont les entreprises présentes sur les réseaux qui participent à des échanges réciproques, à des investissements mutuels ou au lancement de new ventures dans lesquelles elles prennent des participations. Cette stratégie conduit à des co-développements explosifs que la Bourse amplifie, avec constitution de capitalisations boursières souvent démesurées par rapport aux chiffres d’affaires ou aux bénéfices réalisés par ces entreprises. Ce que reconnaissent les acteurs économiques des marchés financiers, c’est l’ouverture de nouveaux espaces d’échanges et de nouveaux secteurs industriels caractéristiques de l’économie des réseaux.

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Les paradoxes de la " net economy " Société industrielle

Valeur fondée sur la rareté

Chaîne de valeur ajoutée matérielle

Rendements décroissants (cercles vicieux)

Production

Durabilité

Anonymat 

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Technologies de l’information et compétitivité 

L’ensemble des technologies de l’information constitue aujourd’hui le principal moteur de la croissance aux États-Unis. À l’intérieur du secteur des technologies de l’information, Internet joue un rôle de catalyseur et d’amplificateur. Les économistes reconnaissent que la société de l’information a un effet indirect sur la plupart des industries d’un pays et sur l’ensemble de l’économie. On estime que la net economy (qui devrait représenter quelque 500 milliards de dollars en 2000) a un effet de levier (leverage effect) sur l’ensemble de l’économie américaine et qu’elle contribue de manière significative aux 4,2 % de la croissance atteints en 1999. Création d’emplois, compétitivité industrielle et commerciale internationale, innovation, accélération de la circulation de l’information sont les résultats les plus probants de l’usage planifié des réseaux de communication dans tous les secteurs de la société. 

Une entrée tardive dans la société de l’information représentera un risque de perte de compétitivité pour les industries et les pays qui n’auront pas su s’adapter à temps. C’est pourquoi il est nécessaire de s’inscrire le plus tôt possible dans ce que l’on appelle la " courbe d’apprentissage ". La forme caractéristique de cette courbe est celle d’une exponentielle. Sa première partie est plate et sa croissance faible. Puis elle croît pour se redresser presque à la verticale. Les investissements précédents produisent des intérêts réinvestis, conduisant à un effet d’amplification, même s’il s’agit d’investissements intellectuels ou immatériels. Ceux qui observent une telle courbe chez leurs concurrents et décident d’entrer dans le jeu en voyant les résultats obtenus, ou qui attendent l’ouverture de nouveaux marchés, risquent d’entrer trop tard dans la compétition. Il est indispensable en effet de passer par toutes les phases de la courbe d’apprentissage. Sans ces phases d’initiation, c’est à coup sûr l’échec par inadaptation à la croissance et à la progression des technologies ou des marchés. 

On peut s’interroger par exemple sur les raisons du retard du Japon dans les technologies de l’information. Globalement, 80 % des crédits de recherche et développement sont investis sur des applications à court terme ou sur des technologies classiques. Seulement 4,5 % des revenus des entreprises proviennent des technologies de l’information, soit 50 % de moins qu’aux États-Unis. Il apparaît également que les ingénieurs les plus créatifs sont employés par des grandes entreprises. Il en résulte un ralentissement de l’innovation dans les NTIC. Il faut ajouter à ces facteurs un déficit de financement des technologies de la communication, car Internet et les entreprises high tech dans ces domaines sont considérés comme trop risqués pour le secteur bancaire. De plus un marché boursier rigide et des réglementations contraignantes rendent difficile l’introduction des entreprises de pointe sur la Bourse de Tokyo.

L’Europe, elle aussi, est passée par une phase de latence préjudiciable au développement de la société de l’information et à la compétitivité industrielle et économique, notamment en raison de contraintes structurelles et administratives, liées en partie à une position de monopole des grands opérateurs de télécommunication, à une centralisation excessive et à une méfiance culturelle vis-à-vis d’innovations technologiques venant des États-Unis. Grâce à des mesures gouvernementales énergiques en Grande-Bretagne, en Allemagne et récemment en France, en particulier sur les réseaux à hauts débits, les équipements scolaires et universitaires ou la présence de l’administration sur Internet, le rythme de croissance s’accélère et la progression de l’équipement des PME et des ménages s’améliore.

Société de l’information et délocalisation 

Une autre caractéristique significative de la société de l’information est la délocalisation dans l’espace et dans le temps des flux traditionnels : financiers, de marchandises et de main-d’œuvre. On passe ainsi de la place financière à l’espace financier, de la place du marché à l’espace du marché, du lieu de travail à l’espace de travail. Cependant, s’il est relativement facile de déplacer des capitaux ou des marchandises grâce au marché financier international ou au commerce électronique, il est beaucoup plus délicat de déplacer des hommes. La délocalisation du travail pose en effet des problèmes sociaux introduisant des contraintes et des rigidités justifiées. Les hommes ne peuvent être déplacés comme des marchandises ou des capitaux. Ils sont liés à des territoires, des traditions, des pratiques et des usages constituant leurs racines profondes ; sans elles, ils perdent le plus souvent non seulement la signification même de leur travail, mais leur dignité d’hommes. Cette différence d'appréciation de la mobilité des hommes par rapport à la demande de travail est à la base de systèmes économiques et sociaux distincts. La société de l’information en " lubrifiant " les rouages de l'économie, conduit à un nouveau regard sur la possibilité d'une troisième voie favorisant la croissance et la création d'emplois, tout en respectant l'égalité des chances et la solidarité dans la redistribution des richesses. L'avènement de la société de l’information nous oblige ainsi à réfléchir à une nouvelle forme de croissance fondée sur d'autres valeurs que celles qui ont traditionnellement justifié les modèles économiques et sociaux mis en avant dans les pays développés.
 

4. Nouvelle culture politique et répartition des pouvoirs

Nouveaux usages, nouvelles résistances 

Les processus d’intégration concernent également les usages. Dans le cadre des entreprises, les moyens traditionnels de communication tels la poste, le téléphone ou le routage sont aujourd’hui complétés par des formes de communication globales impliquant la messagerie électronique, le fax, les visioconférences ou les réseaux privés d’entreprise tels les intranets. La téléphonie s’intègre progressivement avec Internet. Il est possible, à partir d’un téléphone mobile, de consulter sa messagerie. 

Des fonctionnalités supplémentaires vont être ajoutées dans les années à venir. Une profonde modification des relations avec les usagers viendra des nouveaux modes de diffusion. Jusqu’à présent, les deux modes classiques de relations s’appuient sur l’administration et la télévision. L’administration permet de faire remonter une demande personnelle vers une " machine administrative " à traiter cette information. Le contact personnalisé se fait par l’intermédiaire d’un guichet et d’un préposé. On connaît les lourdeurs et les inefficacités de la machine administrative pour traiter, dans des délais raisonnables, des cas personnels. Le moyen le plus efficace pour toucher un très grand nombre d’usagers à partir d’un petit groupe de personnes est la télévision. Cependant, la remontée de l’information vers le centre d’émission ne se fait qu’avec un faible rendement. Même si le téléphone, le minitel, voire Internet, sont parfois utilisés, cette remontée des informations reste peu efficace. Internet permet aujourd’hui des communications de groupes à groupes. On peut atteindre rapidement un individu isolé et donc personnaliser l’information. Mais on peut également toucher une multitude d’individus par des listes d’envoi, des forums ou " news groups ". 

Autre modification profonde des usages : l’accessibilité à l’information. Le mode classique de consommation d’informations se réalise par la diffusion des émetteurs vers les récepteurs. C’est le cas, bien sûr, de la télévision. C’est aussi celui de la radio ou de l’édition, qu’il s'agisse de livres, de journaux ou de magazines. L’usager adopte alors une attitude passive. Certes, il peut feuilleter des livres ou des magazines dans une librairie ou dans une bibliothèque, mais il n'a aucune possibilité d'interaction avec le média. Avec la télévision, sa capacité de navigation est encore plus réduite puisqu’il ne peut que zapper d’une chaîne à l’autre. En revanche, sur Internet l’usager a la possibilité de créer de l'information. De passif il devient actif et même interactif, ou plus encore, intercréatif. Il devient émetteur d'informationset peut explorer l'information proposée par les autres. Ces pratiques remplacent la logique traditionnelle de diffusion, par une logique de navigation et donc de responsabilisation face à la masse des informations proposées. On voit ainsi les différences, mais aussi la complémentarité, entre une collectivité publique et une communauté virtuelle. La première est un ensemble d'individus gérés de manière pyramidale par une voie hiérarchique traditionnelle, la seconde, un réseau transversal de personnes qui communiquent sous la forme d’un " réseau pensant ".

Cette révolution de la communication par l’intégration des technologies crée de nouvelles formes de résistance : résistance culturelle fondée sur la capacité des uns ou des autres à abstraire les informations, à utiliser des symboles, un langage parfois complexe et des procédures rigoureuses ; résistance politique à l’invasion d’un pays ou d’une culture par des produits multimédias ou des logiciels développés en d’autres lieux : résistance hiérarchique liée aux modes d’exercice du pouvoir. 

Ces problèmes structurels et culturels sont caractéristiques des sociétés fondées sur un modèle pyramidal de gestion et de contrôle. Certains pouvoirs, élus, nommés ou cooptés, se sentent menacés par la société de l’information. Souvent ils s’en méfient car elle semble les diluer dans un réseau difficilement contrôlable. Les principales résistances à la société de l’information et plus particulièrement à l’essor d’Internet sont venus d’élites politiques, industrielles, scientifiques ou technocratiques qui se sont senties menacées dans l’exercice de leurs privilèges. On peut donc considérer que ces résistances relèvent plus de la culture que de l’économique, plus des structures que des fonctionnalités de nature industrielle ou commerciale. 

Une nouvelle répartition des pouvoirs dans le cadre national… 

Cette répartition des pouvoirs, que l’on constate déjà aujourd’hui avec l’essor d’Internet, va se trouver renforcée dans les années à venir par l’avènement des réseaux personnels de communication intercréative. Aujourd’hui, déjà, le téléphone portable, les assistants personnels numériques de poche (commercialisés sous le nom de Palmtops), les ordinateurs portables ayant accès à Internet favorisent le travail à distance et donc la répartition des pouvoirs. Par ailleurs, la remontée plus efficace des informations vers les centres d’émission et l’usage des réseaux interactifs créent des nouvelles formes de citoyenneté et suscitent une pression plus grande des consommateurs.

La société en réseau met également en cause les modes de gestion du politique. Jusqu’à présent, l’exercice du pouvoir allait de pair avec le contrôle centralisé, exercé depuis le sommet de la pyramide vers sa base. La loi, la chose publique (la res publica) s’appliquent à des lieux précis ainsi qu’à des personnes bien identifiées. Dans la société en réseau, chaque nœud peut être délocalisé en fonction des besoins ou des usages. Par exemple, si un émetteur d’informations sur Internet est condamné pour des textes que la loi ou la morale réprouve, le site émetteur pourra être délocalisé en un autre lieu, échappant ainsi à la juridiction locale. La jurisprudence appliquée à l’édition ou même à la télévision et à la radio n’est plus adaptée à la circulation de l’information sur les réseaux. 

Il devient nécessaire de réfléchir à des formes nouvelles de contrôle et d’autorégulation faisant appel à la responsabilité de chacun. Par exemple, des autorités compétentes décident que certains sites doivent être interdits par la loi en raison des images ou des vidéos qu’ils proposent et qui peuvent choquer un jeune public. Une telle décision devra donc reposer sur la capacité du législateur à apprécier ce qui constitue des images à caractère choquant, une tâche particulièrement délicate. Si l’on s’en remet aux usagers pour autoréguler eux-mêmes et en fonction de certaines valeurs, la pratique et l’usage des sites proposés sur Internet, il est clair que la maturité des groupes sociaux n’est pas encore suffisante pour autoriser une régulation efficace. En revanche, si l’on fait reposer la responsabilité d’une telle régulation sur les familles, par exemple, on s’aperçoit que l’usage de simples logiciels peut permettre de répondre aux problèmes de l’accès à des sites au contenu discutable. Ces logiciels sont paramétrables par les familles. Ensemble, parents et enfants peuvent décider du niveau de filtrage assuré par le logiciel. 

Ces moyens font ressortir la responsabilité exercée par la cellule familiale, plutôt qu’en réponse à des décisions prises par quelques experts dans un contexte juridique ou politique et ne disposant pas de tous les moyens d’appréciation. Cet exemple illustre la complémentarité existant entre des décideurs politiques et des utilisateurs informés. Progressivement, un tel transfert va se réaliser grâce aux réseaux de communication. Dans certaines villes, le secrétariat de mairie est assuré par les administrés eux-mêmes grâce à Internet. Le politique peut ainsi jouer son rôle de stratège, de médiateur, de catalyseur. Il n’intervient pas sur l’ensemble des activités sociales et économiques. 

… mais qui s’avère plus délicate au niveau mondial 

L’abolition des frontières, par suite des échanges d’informations, le rôle des satellites de télécommunication favorisant la téléphonie mondiale et bientôt l’Internet à haut débit, mettent en question les pratiques politiques traditionnelles . Comment contrôler les informations, assurer le paiement des taxes, éviter les fuites de capitaux, réduire les importations, favoriser les industries nationales ? Le domaine de la politique s’exerce à l’intérieur des frontières, à destination d’électeurs nationaux et pour des mandats limités dans le temps. Des champs nouveaux s’ouvrent par l’interconnexion des réseaux et mettent en question les secteurs d’influence et les rapports de forces. La souveraineté même des pays est mise en question. Du fait de l’interconnexion des représentations politiques matérialisées par des Chambres, des Congrès ou des Sénats dont les listes sont présentes sur les réseaux, des politiciens peuvent être questionnés sur leurs votes ou leurs décisions par des électeurs originaires d’autres pays. 

En période de tension internationale et plus particulièrement de conflits armés locaux, les réseaux peuvent être utilisés comme une nouvelle arme d’information ou de désinformation. Les pratiques des pirates des réseaux peuvent être mises en œuvre par des guerriers cybernétiques utilisant des moyens de subversion – on pourrait presque dire de " cybversion " – par l’intermédiaire des réseaux. Déjà, certains pays qui se considèrent agressés, encombrent les serveurs de ceux avec lesquels ils sont en conflit par l’envoi de messages répétés créant des embouteillages sur les réseaux visés. D’autres émettent des virus qui ralentissent le fonctionnement des ordinateurs traitant des informations stratégiques. Une véritable guerre de l’information peut ainsi se dérouler sur Internet. Cette forme de conflit va s’accroître dans les années à venir. L’espionnage trouve également de nouvelles sources dans la société de l’information. Il est relativement facile de recueillir des données stratégiques circulant sur les réseaux. Des systèmes automatiques peuvent, à partir de mots-clefs, rechercher d’autres séquences de mots et même de phrases. Cette " softwar " ou guerre des réseaux représente le versant sombre de la société de l’information, mais il est inéluctable et va conduire à de nouveaux rapports de force. 

Pour les pays en développement, l’avènement de la société en réseaux est à la fois une chance et un danger : une chance de pouvoir participer à l’économie mondiale grâce à des apports originaux dans différents domaines, une chance également de créer de la valeur ajoutée sans avoir à procéder à des investissements lourds dans les secteurs de l’économie traditionnelle, mais un danger d’isolement si les pays concernés ne savent pas se doter des moyens adaptés pour assurer leur présence à l’échelle mondiale. 

Ils doivent pour cela surmonter une double difficulté : une contrainte intérieure d’abord, les gouvernements de la plupart des pays en développement craignant l’essor des moyens de communication individuels et personnalisants, tels les téléphones portables, les antennes paraboliques et évidemment Internet, moyens qui confèrent en effet aux individus un pouvoir démocratique susceptible de mettre en cause le pouvoir des régimes centralisés ; une contrainte de nature extérieure ensuite, représentée par l’ouverture au monde grâce aux autoroutes de l'information. 

Aujourd’hui les débits des réseaux reliant les pays en développement au reste du monde sont très limités. Un cercle vicieux est en train de s’établir. Les investissements des grandes entreprises de télécommunication se réalisent aux endroits où les trafics sont importants. Il en résulte un accroissement des débits là où ceux-ci sont déjà élevés. En revanche, des pays en nombre croissant sont de plus en plus isolés par des lignes à bas et moyens débits.  

5. Personnaliser les relations

L’impact sur l’éducation 

L’impact des réseaux interactifs multimédia se fera sentir encore plus fortement dans les domaines de l’information, de l’éducation et de la culture. La logique actuelle d’accès à l’information est une logique de diffusion. Chaînes de télévision, de radio ou maisons d’édition émettent vers leurs téléspectateurs, auditeurs ou lecteurs de manière unilatérale, du haut de la pyramide vers sa base. La logique émergente résultant de la société de l’information est une logique de navigation. Loin d’être passifs à la base de la pyramide, récepteurs d’informations sans être capables d’échanges et d’interactions, les usagers deviennent actifs puisqu’ils doivent non seulement sélectionner les sources interactives d’informations, mais aussi entrer en contact avec d’autres usagers susceptibles de les aider. 

Comme un navigateur sur l’océan, muni de cartes, de boussoles ou d’appareils de navigation, devant tenir compte des vents contraires, des courants ou des écueils, le navigateur des réseaux doit savoir utiliser les méthodes appropriées et les chemins adaptés pour trouver les informations pertinentes qui donneront du sens à son travail ou du plaisir à ses loisirs. Cette pratique modifie profondément les formes traditionnelles d’éducation. Plutôt que de se rendre en un lieu pour écouter un détenteur unique de savoirs, les élèves peuvent naviguer sur les réseaux à la recherche des informations qui leur permettront de construire leurs savoirs et leurs connaissances. Le risque est de brasser des informations en " surfant " d’un site à l’autre plutôt que d’acquérir des savoirs, d’où l’importance de la classe, de son rôle de socialisation, de coéducation et d’intégration culturelle, et aussi celle du professeur, médiateur et catalyseur d’intelligence plutôt qu’émetteur d’informations unilatérales. Avec la pratique des réseaux, le professeur peut se transformer en passeur plutôt que de se cantonner dans son rôle traditionnel de pasteur. Il aide à faire émerger l’intelligence collective de sa classe, à orienter ses élèves de manière socratique en éclairant les chemins de la connaissance.

Les réseaux interactifs de la société de l’information ne sont plus seulement des outils providentiels de diffusion des savoirs, mais des éléments qui viennent s’inscrire au sein d’un projet pédagogique incluant les modes de communication les mieux adaptés. La classe, le professeur et Internet constituent un nouveau système de communication interactif permettant d’intégrer des données dans des informations, des informations dans des savoirs, des savoirs dans des connaissances et des connaissances dans des cultures. Cette intégration progressive est représentative de l’acquisition d’une culture moderne. Elle se distingue de la simple culture des cultivés " qui savent des petits riens sur tout " ou de celle des spécialistes qui " savent tout sur des petits riens ". La société de l’information suscite la réflexion sur un plan ou un projet capable d’inclure les éléments technologiques amplifiant le rôle traditionnel du professeur. L’enjeu majeur reste la construction d’une complémentarité entre le réel et le virtuel. Le réel favorise la convivialité, le lien social, la sensibilité et l’émotion sans lesquels il n’y a pas d’exercice de l’intelligence. Le virtuel facilite l’accès à l’information, l’interactivité et l’intercréativité, la vitesse de remontée des informations ou l’efficacité du temps réel. Les deux doivent aller de pair dans une société de l’information bien équilibrée. Ceci est valable, tant pour le domaine de l’éducation que pour celui de l’information ou de l’exercice de la démocratie.

Des échanges plus fluides ?

 La société de l’information va-t-elle conduire à une réduction ou à une limitation des déplacements des gens dans les villes ou dans les pays ? Une utopie datant des années 50 imaginait que les informations circuleraient de plus en plus dans les fils des téléphones ou des réseaux interactifs, permettant ainsi de réduire les déplacements des personnes dans les rues ou sur les routes. En d’autres termes, l’information devrait se substituer à la circulation des marchandises et des individus. L’avènement de la société de l’information et l’usage d’Internet montre qu’il n’en est rien. Plus les réseaux de communication se densifient, plus les échanges s’accroissent, plus les déplacements s’imposent. Se rencontrer par messagerie électronique, se découvrir par le téléphone, acheter un produit par commerce électronique conduisent, en définitive, à faire se déplacer des personnes pour bénéficier du contact physique irremplaçable ou des marchandises destinées à être distribuées à un acheteur distant. On peut d’ailleurs constater l’essor spectaculaire des entreprises d’acheminement de marchandises par suite de l’explosion du commerce électronique mondial. 

En revanche, il est intéressant de se poser la question de la régulation des trafics physiques de voitures particulières, de camions, de trains ou d’avions par de l’information. Le développement des réseaux, en favorisant la circulation des informations de mesure, de simulation et d’orientation, permet de réguler les trafics et ainsi d’économiser de l’énergie ou de réduire la pollution. Il ne faut pas oublier que l’efficacité des systèmes vivants, liée à leur métabolisme, se fonde sur la régulation de la consommation d’énergie par de l’information judicieusement répartie. 

L’avénement de la bourse électronique 

Cependant, les effets perturbateurs d’une information de régulation trop fluide et circulant trop rapidement sans " effet tampon " peuvent concerner très directement les systèmes boursiers. On estime aujourd’hui que les acheteurs et vendeurs d’actions cotées sur le Nasdaq représentent 25 % du nombre total des acteurs de cette Bourse. Certains d’entre eux achètent et vendent leurs actions à un rythme quotidien. Compte tenu de la base réduite du nombre d’actions mises en Bourse par certaines sociétés de haute technologie, des fluctuations très importantes sont constatées. Il en résulte des emballements incontrôlés mettant en danger des structures financières plus traditionnelles. Cette sorte de casino électronique constitue un nouveau risque d’explosion de certaines bulles financières artificiellement créées par le " online trading ".

[...]

Fusions et acquisitions dans l’économie des réseaux
- AOL achète Netscape : 4,2 milliards de dollars
Capitalisation boursière supérieure à celle de General Motors

- Disney achète Infoseek (43 %). Création de Go.com

- Yahoo! (167 millions de pages vues par jour) achète GeoCities : 3,57 milliards de dollars

Achat de Broadcast.com : 5,7 milliards de dollars
Capitalisation boursière supérieure à celle de Boeing.

- NBC achète Snap! et C/net

- TheGlobe.com : plus grande croissance Nasdaq de l’histoire (de 6 dollars à 63 dollars le même jour)

- @Home achète Excite : 6,7 milliards de dollars

- Lycos fusionne avec USA Networks

Capitalisation boursière d’Amazon.com supérieure à celle de Texaco

[...]

 Cette bourse électronique court-circuite les agents de change traditionnels. Ce problème met en lumière celui, plus général, des intermédiaires. Que vont-ils devenir dans la société de l’information ? Si, grâce à Internet, les consommateurs sont mis en relation directe avec les producteurs, allons-nous assister à la disparition des intermédiaires ? Quel va être l’avenir des concessionnaires automobiles, des agents de voyage, des courtiers d’assurances, des consultants ? Vont-ils disparaître ou au contraire créer de la valeur ajoutée grâce à l’utilisation des réseaux, en personnalisant notamment leurs relations avec leurs clients ? 

Il existe aujourd’hui, à la suite du développement du commerce électronique, une situation nouvelle et inconfortable pour les usagers. Les entreprises présentes sur les réseaux cherchent à extraire des informations personnelles en provenance de leurs utilisateurs. Ils constituent des bases de données d’informations personnalisées afin de toucher plus directement les consommateurs grâce au marketing ciblé (" one to one marketing "). On peut aujourd’hui suivre le profil d’un utilisateur au cours du temps, connaître les sites visités avant de parvenir sur celui de l’entreprise, réaliser des statistiques sur les comportements de telle ou telle famille. Ces informations mettent en danger la vie privée des utilisateurs. Ceux-ci commencent d’ailleurs à s’en rendre compte et cherchent à protéger par des moyens appropriés, existant d’ailleurs sur les réseaux, les informations qu’ils considèrent comme personnelles et non utilisables dans la sphère publique. 

Une méfiance est donc en train de naître entre les usagers des réseaux et les entreprises de biens et de services. C’est pourquoi va apparaître une nouvelle fonction d’intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs, une sorte de tiers de confiance, devenu obligatoire pour assurer les consommateurs de la garantie d’utilisation des informations privée qu’ils font circuler sur les réseaux. Cette nouvelle fonction pourrait être qualifiée d’" infomédiation ". Les " infomédiaires " devraient jouer un rôle de filtres sélectifs entre les producteurs et les consommateurs. Ceux-ci donneront, en toute confiance, des informations concernant leurs modes de consommation, leurs préférences, leur niveau de vie, leur situation familiale ou professionnelle…, ce que l’on confie habituellement à son médecin, son avocat ou son banquier. L’infomédiaire pourra alors, avec l’autorisation de ses clients, fournir des listes d’informations personnalisées à des producteurs de biens ou de services. Ainsi les consommateurs seront assurés d’acheter des produits à haute valeur ajoutée correspondant étroitement à leurs besoins.  

6. Les réseaux du futur 

Des changements technologiques profonds… 

Vers quoi s’oriente la société de l’information ? Les progrès des technologies sont rapides et leur intégration se réalise à plusieurs niveaux. On voit ainsi fusionner la téléphonie, Internet, les ordinateurs portables et d’autres appareils jadis séparés. Les développements vont continuer à s’organiser autour des propriétés de convergence et d’intégration qui ont caractérisé l’évolution technologique des dernières années. Un changement profond va venir de l’accroissement des débits des réseaux de télécommunication. Aujourd’hui, Internet est limité par le faible débit des lignes téléphoniques. Elles n’ont pas été prévues pour le multimédia alors que des images, du son et de la vidéo circulent aujourd’hui sur le web. L’accroissement des débits va se réaliser par la mise en œuvre de plateformes multimodales. Des débits élevés seront offerts aux entreprises et aux particuliers grâce, notamment, au câble coaxial de la télévision, à l’ADSL pour les distances courtes plus particulièrement dans les villes, à la fibre optique et à l’ATM pour les réseaux centraux (les backbones) ; aux satellites à orbite basse et probablement aux réseaux de distribution électrique. Cet accroissement des débits va changer fondamentalement les échanges de données nécessaires au développement de la société de l’information. Le commerce, l’éducation, les loisirs, le tourisme et plus généralement l’accès à l’information vont être bouleversés par l’apparition de séquences vidéo interactives plein écran, de graphismes professionnels en trois dimensions et de son de qualité stéréo. Les images en trois dimensions seront utilisables, par exemple, pour la chirurgie, l’architecture ou l’ingénierie. 

Autre percée radicale : l’accroissement de la mobilité des usages par l’accès aux réseaux utilisant des appareils portables tels que téléphones ou ordinateurs de poche. Dans les cinq prochaines années, la norme téléphonique GSM va céder la place à la nouvelle norme UMTS (unified mobile telephone system) qui permettra des débits beaucoup plus élevés, allant jusqu’à 2 millions de bits par seconde. Il sera possible, par exemple, d’échanger des images vidéo à partir de téléphones portables, ce qui modifiera les pratiques professionnelles et personnelles. Les différents systèmes portables, qu’il s’agisse de téléphones, d’appareils de photos ou de caméras numériques, d’assistants personnels numériques (APN), entreront en liaison les uns avec les autres grâce à des logiciels d’interconnexion sans fil. Ils pourront échanger des procédures, des protocoles et même des services. 

Mais un des changements les plus marquants de la société de l’information résultera de la fusion entre la télévision numérique et Internet. On sait que les deux systèmes possèdent des avantages et des inconvénients. L’avantage d’Internet est la capacité donnée à l’utilisateur de passer d’un site à l’autre à la recherche d’informations qu’il est possible d’approfondir progressivement de liens en liens. Son inconvénient repose sur le faible débit des lignes téléphoniques qui n’autorise pas une diffusion d’images et de son de qualité. La télévision, en revanche, offre un très haut débit d’images permettant la réception de films, de documentaires, d’événements sportifs ou de séquences d’actualité. Son inconvénient est la possibilité très limitée de navigation offerte à l’utilisateur. On ne peut que changer de chaîne en zappant de l’une à l’autre, une opération marquée par le tout ou rien, un choix binaire et non un approfondissement de l’information comme sur Internet, en pointant et en cliquant sur des sites successifs. La fusion d’Internet et de la télévision numérique va apporter à chacun des systèmes les avantages de l’autre tout en réduisant leurs inconvénients. Beaucoup plus que d’un nouveau média, il s’agira alors d’un nouvel espace-temps de communication à la disposition des industries, des organismes publics, des universités, des systèmes éducatifs ou du commerce et des loisirs en général. 

[...]

Les outils de la société de l’information (les 5 prochaines années)
- Réseaux multimédias à hauts débits (modems rapides, câble TV, ADSL, fibre optique et ATM, satellites à orbite basse, réseau électrique)

- Fusion de la télévision numérique et d’Internet (Web/TV). " Push Média ". Networked Media. Vidéo interactive.

- Téléphonie mobile internationale à hauts débits (UMTS : 2 Mbps)

- Fax couleur numérique, caméras numérique, DVD (digital vidéodisque)

- Internet mobile, intégration PC/téléphone, Palmtops (assistant personnel numérique avec fonction téléphonique)

- Personnalisation des interfaces (reconnaissance de la voix, de l’écriture, des visages).

- Assistance informatique et Internet par des " agents intelligents ".

- Espaces 3 D et réalité virtuelle

 [...]

… conduisant à de nouvelles relations homme-machine 

Ces progrès technologiques devront se situer dans le cadre d’une modification importante des interfaces entre l’homme et la machine. Nous communiquons aujourd’hui avec les ordinateurs par des claviers, des souris, des menus déroulants, des scanners, des lecteurs de disquettes ou de cédérom. Déjà, il est possible de dicter à la machine des textes que l’ordinateur comprend après s’être habitué à la voix de l’usager. La commande vocale va se généraliser dans l’avenir. Elle bouleversera la communication mobile entre les ordinateurs et le réseau Internet. On peut déjà piloter un navigateur à la voix, passer des ordres et spécifier des fonctions à une opératrice virtuelle depuis son automobile, afin de réorienter les communications téléphoniques vers un autre usager ou les mettre en mémoire. Progressivement les ordinateurs reconnaîtront d’autres caractéristiques des interfaces humaines, par exemple l’expression du visage ou les gestes. Les interfaces avec l’ordinateur vont donc s’humaniser et créer une symbiose de plus en plus étroite entre l’homme et les machines à traiter l’information. Un plus grand nombre d’utilisateurs aura donc accès à l’usage des ordinateurs, aujourd’hui encore trop complexe et réservé aux personnes formées à des pratiques et à des procédures encore trop liées au monde de l’informatique. 

Si l’on ajoute à cette évolution la diminution des coûts des ordinateurs et de celle des communications téléphoniques, il est clair que la société de l’information sera rendue plus accessible à un nombre croissant d’usagers potentiels dans les pays développés et en développement. Lorsque l’on constate, dans ces pays, la croissance exponentielle de l’usage des téléphones portables et des antennes paraboliques permettant de capter les émissions par satellites, on comprend que l’usage d’Internet ou de ses descendants à plus hauts débits se répandra largement dans le monde. On passera alors des quelque 400 millions d’internautes attendus au milieu de l’année 2002 à près de 1 milliard vers 2005, soit un chiffre supérieur à celui des lignes téléphoniques en service aujourd’hui.

Vers une forme de " système nerveux " de l’organisme sociétal 

La société de l’information et l’accès en temps réel à des bases diverses d’informations, liés à la mise en réseaux des intelligences, contribueront progressivement à l’émergence d’innovations scientifiques, techniques et industrielles. Le développement des réseaux interactifs multimédias, auquel nous participons aujourd’hui, n’est autre que l’ébauche d’un phénomène encore plus profond : la construction progressive d’une sorte de système nerveux de l’organisme sociétal construit par l’humanité à la surface de la planète. Les facteurs de réussite dans le développement industriel et économique des entreprises et des pays ne sont plus seulement aujourd’hui la production, la commercialisation, la recherche ou l’administration. Il faut leur ajouter l’intelligence, l’adaptabilité et la vitesse. La gestion de l’intelligence devient essentielle pour rester compétitif, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un pays. Vitesse ne signifie pas précipitation hâtive. Il s’agit de réagir en temps réel aux modifications de l’environnement afin de s’adapter aux enjeux de l’avenir résultant, notamment, des nouvelles technologies. 

Au cours de l’évolution biologique, la différence s’est faite entre les organismes vivants capables de réagir rapidement aux modifications de leur environnement, de s’adapter à de nouvelles contraintes et d’innover par rapport aux espèces concurrentes. Le jeu des mutations et de la sélection naturelle a favorisé la création de diversité conduisant à des solutions nouvelles. Dans les sociétés humaines, les inventions, les innovations et les réactions du marché conduisent à accroître la diversité des voies possibles pour répondre aux problèmes posés, d’où l’importance de la pratique de l’intelligence pour les organisations humaines et du système nerveux qui permet son expression. Entre une éponge, un poisson, un mammifère et un être humain, il existe une différence fondamentale de céphalisation, c’est-à-dire de puissance du cerveau et du système nerveux. Plus l’organisme se complexifie, plus ses relations à l’environnement se diversifient et plus il lui faut un cerveau capable de traiter en temps réel des informations lui permettant de s’adapter et d’évoluer. 

Il en est de même de nos sociétés humaines. Elles cherchent à se doter d’un système nerveux, de vastes mémoires permettant de stocker les informations les plus diverses et d’y accéder selon les besoins, et de réseaux intercréatifs connectant les cerveaux individuels à des ordinateurs puissants. La société de l’information et les réseaux multimédias interactifs sont les embryons de ces systèmes nerveux planétaires qui pourraient permettre à l’humanité d’atteindre un nouveau stade de son évolution, des systèmes nerveux sans cerveau unique centralisé, à la différence de l’organisme.

Mais il est clair que ces systèmes peuvent se retourner contre l’homme. Le fantôme de " Big Brother " continue de hanter les esprits. Par ailleurs, les États, les entreprises, les puissants peuvent conquérir des secteurs importants de la société de l’information. Face à eux, les hommes perdraient leur liberté de consommer ou de créer. C’est pourquoi il apparaît si important, à la fin du XXe siècle, d’informer et de former ceux qui, demain, auront à construire le monde. La société de l’information, en complémentarité de la société de l’énergie, fait appel à de nouvelles valeurs. Ouverture, tolérance, solidarité, capacité d’autorégulation seront nécessaires dans un monde de plus en plus complexe et de plus en plus compétitif. Trouver les complémentarités entre le monde réel et le monde virtuel, donner à chacun ses chances, favoriser en définitive la liberté de l’homme face aux contraintes technologiques et aux changements de l’environnement, tels sont les nouveaux enjeux, promesses et défis de la société de l’information à l’aube du XXIe siècle.

Joël de Rosnay

Conseiller de la Présidence
Cité des Sciences et de l'Insdustrie – La Villette – Paris – France
Si vous utilisez ce texte, merci de citer la référence d'origine

Chronologie Internet 
1966
. Paul Barand de la RAND Corporation invente le reroutage dynamique des paquets (article fondamental : " On Distributed Communications Networks ").
. À l’ACM Symposium, présentation d’un plan pour un réseau de commutation de paquets.
1968
. Présentation du réseau à l’armée américaine : Advanced Research Projects Agency (ARPA).
. Grande- Bretagne : premier réseau à commutation de paquets.
1969
. Arpanet est créé par le département de la Défense pour faire des recherches sur la communication par réseaux. Premier nœud de réseau à UCLA puis au Stanford Research Institute (SRI), UCSB, et à l’université de l’Utah.
1970
. Utilisation sur Arpanet du protocole Network Control Protocol (NCP).
. Au mois de décembre, 13 sites sont branchés à Arpanet dont Harvard et MIT sur la côte est américaine.
 
1972
. Conférence internationale sur la communication par ordinateur avec démonstration par Arpanet d’une communication entre 40 ordinateurs. Création de l’Inter Networking Working Group (INWG) pour standardiser les protocoles (président : Vinton Cerf).
. Le NCSA (National Center for Supercomputers Applications) introduit Telnet, qui permet une meilleure connexion entre deux ordinateurs.
 
1973
. Le transfert de fichier est facilité grâce à un nouveau protocole nommé FTP (File Transfert Protocol).
. Premiers liens européens : des bases de l'armée de l'air américaine sont reliées par Arpanet en Angleterre et en Norvège.
 
1975
. La première version officielle du protocole TCP/IP (Transfert Control Protocol/Internet Protocol) est écrite.
 
1977
. Spécification du format des messages électroniques permettant l’essor de la messagerie électronique.
 
1978
. L'université du Wisconsin, en collaboration avec les laboratoires BELL, introduit le courrier électronique sous la forme du protocole UUCP.
 
1979
. Les universités de la Caroline du Nord et de Duke travaillent ensemble pour créer Usenet.
. Lancement du réseau par abonnement : Compuserve.
. L'ARPA créée l'ICCB (Internet Configuration Control Board).
 
1981
. On compte 213 ordinateurs dans le réseau.
. Lancement du minitel en France pour l’annuaire électronique. Expérience de Vélizy.
. Apparition du modem 300 bps conçu par la compagnie Hayes. 
 
1982
. INWG établit le Transmission Control Protocol (TCP) et l’Internet Protocol (IP), qui devient connu sous le nom de TCP/IP. Création du terme " Internet " : ensemble de réseaux interconnectés utilisant le protocole commun TCP/IP.
. Le département de la Défense impose le support de TCP/IP.
. Création de EUnet.
. TCP et IP sont finalisés.
 
1983
. NCP est abandonné au profit de TCP sur Arpanet.
. Arpanet est divisé en Arpanet et Milnet.
. Création de EARNET (European Academic Research Network).
. L'Internet Activities Board (IAB) remplace l'ICCB.
 
1984
. On compte 1 024 ordinateurs dans le réseau.
. Le Domain Name Services (DNS) est introduit. 
 
1986
. NSFNET est créé. (la vitesse de transmission atteint 56 Kbps sur les réseaux).
. On compte 5 089 ordinateurs dans le réseau. 
 
1987
. UUNET est la première compagnie à vendre des accès au courrier électronique et aux nouvelles Usenet.
. On compte 28 000 ordinateurs dans le réseau.
 
1988
. L’Internet Worm (virus) détruit une partie du réseau.
 
1989
. On compte 130 000 ordinateurs dans le réseau.
 
1990
. Arpanet cesse d'exister.
 
1991
. Création de RENATER réseau français inter-universitaire (CNRS).
. Création de Ebone.
. NFSNet : autoroute de l’information à 44,7 Mbit/s.
. On compte 535 000 ordinateurs dans le réseau.
 
1992
. Naissance de l'Internet Society (ISOC).
. L'IAB devient l'Internet Architecture Board et est intégré à l'ISOC.
. Invention par Tim Berners-Lee au CERN (Genève) du World Wide Web (la " toile ").
. On compte 992 000 ordinateurs dans le réseau.
. MIME, protocole favorisant l’interconnection des messageries.
 
1993
. Création d’InterNIC. Enregistrement des noms de domaine par Network Solutions Inc.
. La Maison-Blanche est sur Internet. L’e-mail du président Bill Clinton : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..
. On compte 1,776 million d’ordinateurs dans le réseau.
. Lancement par Marc Andreensen de Mosaic, logiciel de navigation sur le web.
 
1994
. 25e anniversaire d'Internet.
. Explosion du World Wide Web. Généralisation du langage HTML, des URL (universal resource locator) les adresses web et de HTTP ((hyper text transfer protocol).
. Le modem 14 400 bps (14,4 Kbps) devient une réalité.
. America Online est le premier grand fournisseur d’informations sur Internet.
. La compagnie Netscape lance son premier logiciel en décembre. Il est mis gratuitement à la disposition des utilisateurs. Un mois plus tard, 75 % des internautes l'utilisent.
. On compte 3,2 millions d’ordinateurs dans le réseau.
. Moteur de recherche Yahoo! 
. FirstVirtual est la première cyberbanque.
. France : rapport Gérard Théry sur les " autoroutes de l’information ".
. Développement des activités commerciales sur Internet.
 
1995
. NFSNet cesse d'exister (il est remplacé par des réseaux interconnectés).
. La vitesse de transmission double en une seule année : on communique à 28 000 bps (28,8 Kbps).
. Netscape vend pour 2,1 millards de dollars d'actions le 9 août.
. Lancement du Microsoft Network (MSN).
. Visiophonie Internet avec CU-Cme.
. Internet Phone : téléphonie sur Internet en TCP/IP.
 
1996
. Moteur de recherche AltaVista.
. Radio et vidéo sur Internet par RealVideo.
. La vitesse de croisière avec un modem est de 33 600 bps (33,6 kbps).
. Introduction du modem-câble permettant des débits de 27 Mbps.
. L'information circule à une vitesse de 122 Mbps entre les liens principaux du réseau.
. Agents intelligents aidant à chercher de l’information sur Internet.
. Introduction de Java : logiciel interactif de Sun Microsystems.
 
1997
. WebCams : caméras d’observation en temps réel.
. Visiophonie Internet avec Netmeeting de Microsoft.
. Essor du commerce électronique et de la publicité sur Internet.
 
1998
. La vitesse de croisière avec un modem est de 57,6 Kbps.
. Les modems câbles se développent.
. Succès des ventes aux enchères sur Internet.
. Succès du " online trading ".
. Apparition des abonnements gratuits aux fournisseurs d’accès.
 
1999
. Palmtops avec accès Internet.
. Téléphones portables avec messagerie Internet.
. Explosion des Internet Cies au Nasdaq. Influence sur la net economy. Fusions et acquisitions en série. La capitalisation boursière des Internet Cies dépasse celle des grandes entreprises industrielles traditionnelles.
. On compte 25 millions d’ordinateurs connectés au réseau.

Bibliographie 

 - Livres 

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