CHRONIQUE de LUC FERRY "Le Figaro Premium" - Des recherches scientifiques ont démontré que l'être humain n'était pas uniquement le fruit de son patrimoine génétique mais aussi de ses comportements.
Aussi surprenant que cela puisse paraître à tous ceux qui se souviendront de leurs cours de biologie, les neurosciences procèdent aujourd'hui à une singulière réhabilitation de la notion, qu'on croyait jusqu'alors totalement invalidée, de transmission des caractères acquis. Comme le montre Joël de Rosnay dans son dernier livre, La Symphonie du vivant (chez LLL), dont je ne saurais trop vous recommander la lecture, il est désormais prouvé de manière certaine que l'expression de certains gènes peut non seulement être inhibée, par exemple sous l'effet du stress, mais aussi être transmise à notre descendance.
Pour en donner deux exemples particulièrement frappants, une même larve d'abeille deviendra ouvrière ou reine selon la façon dont elle sera nourrie et un œuf de tortue peut éclore mâle ou femelle en fonction de la température qu'il aura reçue. C'est ce qu'on appelle l'épigénétique, littéralement «l'au-delà» de la génétique, car ce qui vole en éclats avec ces découvertes récentes, c'est le «tout ADN», l'idée que nous serions de part en part déterminés par nos gènes, que notre ADN expliquerait non seulement toutes nos maladies, mais aussi nos principaux traits de caractère ainsi que la plupart de nos comportements.
Pour aller à l'essentiel, il est maintenant prouvé que ce sont trois éléments reliés mais distincts qui entrent dans la composition de nos personnalités.
En premier lieu, bien entendu, on trouve la structure de l'ADN, dont nul ne songe à nier l'importance. C'est notre code le plus fondamental, notre «situation» de départ, une donnée de base à laquelle aucun d'entre nous ne saurait échapper. Il est indéniable que de nombreux traits de caractère, pathologiques ou non, physiques et psychiques, en dépendent très directement, et il serait déraisonnable de revenir en arrière sur cette réalité. Du reste, les progrès qui s'annoncent pour bientôt dans le domaine des thérapies géniques et des thérapies de précision liées à la généralisation du séquençage, de la compréhension et, le cas échéant, de la modification du génome, sont aussi incontestables que prometteurs, notamment en oncologie.
Mais à cette structure de base héréditaire s'ajoute ce que les neurosciences appellent le «câblage neuronal», qui, lui, dépend essentiellement de nos expériences, de notre environnement, de notre éducation, bref, de notre histoire. De fait, ce fameux câblage va avoir dans certains cas une importance aussi cruciale sur le développement de l'intelligence que les données génomiques de départ. Or ce développement historique est dû au hasard: il dépend dès l'enfance de notre milieu, de nos parents, de nos expériences les plus aléatoires, bref, de la chance ou de la malchance qu'on a de naître ici ou là.
La révolution de l'épigénétique
Enfin, aussi curieux que cela puisse paraître au regard de l'évolutionnisme classique, il existe encore un troisième étage de la fusée humaine, celui, justement, de l'épigénétique: non seulement les expériences de l'enfance et l'environnement vont jouer une place essentielle dans le développement de notre personnalité, mais en outre, nos pensées, nos sentiments, nos passions et nos réflexions ont le pouvoir de modifier l'expression de nos gènes dans une espèce d'autoaffection dont l'épigénétique montre que les effets pourront être transmis aux générations futures, à nos descendants, bien que les mécanismes de cette transmission (moins stable et plus réversible que celle qui s'opère par les mutations de l'ADN) soient encore relativement mal connus, les recherches dans ce domaine étant toutes récentes.
Pour être plus précis, on savait, bien entendu, que l'expression de certains gènes pouvait être inhibée par les effets du milieu, mais ce qu'on ne pensait pas il y a encore vingt ans, c'est que cette inhibition pouvait être transmissible à la descendance. Bien évidemment, rien ne prouve stricto sensu que le débat déterminisme ou liberté soit par là tranché, l'hypothèse métaphysique du libre arbitre étant, comme l'avait montré Karl Popper, tout aussi peu scientifique que celle du déterminisme. Simplement, à partir du moment où nous savons que nos comportements alimentaires, mais aussi nos expériences psychiques et physiques, peuvent modifier notre ADN, ou à tout le moins l'expression de certaines de ses composantes, cela nous donne une responsabilité objective envers nous-mêmes, mais aussi nos enfants, Joël de Rosnay s'attachant dans son livre, aussi passionnant que limpide, à dégager les conséquences de ces avancées scientifiques sur l'ensemble de la société. CCet article est publié dans l'édition du Figaro du 22/03/2018. .