Articles sur le livre "Surfer la vie"

Surfer la vie dans une société fluide : risque et innovation

Surfer la vie dans une société fluide : risque et innovation Chapitre 1, p.40-43

Une société qui ne prend pas de risque ne peut évoluer. Sans développement, sans croissance, sans partage, elle reste à l’état statique, se sclérose et menace de disparaître. Prendre des risques, c'est accroître ses chances de gagner. Pour une personne comme pour une entreprise. Pour cela, il faut affronter la peur : celle de l'échec, de la faillite ou pour un sportif, de la chute et de la défaite. C'est la prise de risque matérialisée par les nouveaux projets de recherche en  laboratoire qui permet la découverte, l'invention, et en définitive, l'innovation, bénéfique pour la société toute entière. Or, découverte, invention et  innovation, vont à l'encontre de la stabilité des idées reçues et des situations acquises. L’innovation dérange. Elle créée des rejets, comme un système immunitaire qui se défend avec ses anticorps et ses globules blancs contre les antigènes étrangers des microbes qui cherchent à envahir les cellules. Dans une entreprise, quand une équipe propose des idées nouvelles, on entend très souvent des réactions comme : « On n'a pas le budget », « Ça se fait déjà en Chine »,  « La réglementation internationale ne le permettra pas », etc. Les Américains appellent ce syndrome le NIH pour « Not Invented Here » : cela n'a pas été inventé ici, donc ça ne peut être meilleur que ce que feraient nos équipes de recherche. D'où la paralysie des innovations dans de grandes structures trop rigides et centralisées. Lorsque je travaillais à l'institut Pasteur, le professeur Jacques Monod me disait souvent : « Quand vous lancez une nouvelle idée, vous avez trois catégories de personnes contre vous : ceux qui font la même chose, ceux qui font le contraire et ceux qui ne font rien, c'est-à-dire tout le monde ! ». C’est pourquoi il faut se battre pour innover, et, pour cela, prendre des risques.

Les personnes responsables de la naissance des innovations dans les entreprises publiques ou privées me semblent appartenir - d'après l'expérience que j’ai pu acquérir dans ces structures - à deux catégories : les « oui-mais » et les « oui-et ». Pour les premiers, la proposition que l'on vient de faire est toujours impossible à réaliser. « D'accord c'est une assez bonne idée, mais on n’aura pas le temps de la mettre en œuvre, mais les concurrents y travaillent déjà, mais le planning est trop serré, etc. ». En revanche, pour les seconds, il y a toujours une autre idée derrière la première. « Oui c'est une bonne idée, et on pourrait aussi en profiter pour lancer un nouveau journal. » ; « Excellente proposition, et on pourrait ajouter la coopération avec l'entreprise X, etc. ». L'ouverture d'esprit face à l'innovation est essentielle pour créer des synergies, des complémentarités, voire des amplifications permettant d'aller au-delà de l'idée originale.

Un excellent exemple de financement de l'innovation est représenté par ce que l'on appelle le capital-risque (Venture Capital). La notion de « venture » (aventure, aventureux) est importante et dynamique. Elle transcende le risque ou la peur qui souvent paralysent l’action. Elle exprime et traduit la notion de flux : flux d’idées (« deal flow », flux de dossiers d’investissement proposés aux capitaux-risqueurs) ; flux financier, seed money (capitaux ou fonds d’amorçage).  Ces formes de financement consistent à investir dans des sociétés à risques, des start-ups capables de créer des produits ou des services très nouveaux. Ce processus pourrait s'appeler la catalyse de l'innovation. Mais pour qu’il puisse se mettre en marche, il ne faut pas seulement des financements, il faut aussi encourager la promotion de lieux favorables à la créativité, assurer la mobilité des hommes et des idées, favoriser la sortie sur le marché ou en Bourse, des sociétés ainsi financées pour réaliser un gain en capital. Parmi les zones de catalyse de l'innovation, on peut citer la Silicon Valley en Californie, le campus de GIANT (Grenoble Innovation for Advanced New Technologies), ou les « incubateurs », technopoles, centres d'excellence et zones de compétitivité qui se mettent progressivement en place en France.

Un des éléments essentiels de l'approche innovante consiste à procéder par essais et erreurs. C'est la base de toute approche expérimentale. À partir d'une théorie, ou d'une hypothèse, on réalise des expériences, on mesure les résultats et on en tire les conséquences. Il serait bon que ce type d'approche se généralise dans la société du numérique. En effet, sur Internet, il est relativement facile et peu coûteux de lancer des expérimentations, de vérifier la validité d'une idée, de se réunir avec d'autres créateurs, pour lancer des sites, des produits, des services, et en évaluer les retombées sur des clients ou utilisateurs potentiels. Une telle approche expérimentale permet de mieux gérer la complexité et de contrôler les flux. En effet, agir sur une seule cause pour tenter d'en maîtriser les conséquences conduit souvent à des effets pervers, à des résultats inattendus dont les amplifications peuvent donner un résultat inverse de celui escompté. En revanche, l’approche décrite destinée à tester les idées ou des projets, nouveaux permet de comprendre le réseau des interdépendances et des relations entre les différents éléments qui constituent un système complexe. Ainsi, sera-t-on capable d'identifier les nœuds et les liens sur lesquels il va être possible d'agir en séquence ou simultanément afin de vérifier les effets réciproques, les feedbacks ou les amplifications