A 83 ans, la légende Joël de Rosnay vient de sortir un nouveau livre, « Petit éloge du surf ». Interview avec le « roi de la glisse ».
« Vous publiez des livres passionnants et à un rythme très régulier depuis 1966. Pourquoi celui-là, sur l'éloge dur surf, maintenant ?
Parce qu'on parle de plus en plus de surf, et pas seulement comme sport mais comme surf dans la société. Il y a par exemple les gens qui surfent sur les sondages, les politiciens qui surfent sur l'opinion. C'est un terme qui est à la mode dans une quantité d'actions de la vie. Et puis il y a eu le confinement, qui m'a permis de finir ce livre, qui était entamé depuis un bout de temps. Merci donc au confinement de m'avoir permis de sortir ce livre.
Première vision du surf ?
Il y avait beaucoup de choses avant. Je faisais depuis très jeune du bodysurf, du surf sans planche. Ensuite, il y a eu le surf avec la planche en contre-plaqué, à plat ventre et avec des palmes. Et le surf debout, c'est venu d'un film que j'ai vu Salle Pleyel « Hawaii, île de rêve », de Jacques Chegaray en 1956. Ça m'a énormément passionné de voir des gens surfant debout à Hawaii, et de tous les âges. Je me suis alors dit que c'était ça qu'il fallait que je fasse.
La première vague, souvenir marquant à tout jamais ?
La première fois, j'ai galéré, c'était très difficile. Personne ne m'avait vraiment appris. Mais quand j'ai commencé à en faire... J'ai appris la notion de glisse sur une grande vague, à la prendre en travers, en dehors de la mousse, dans ce qu'on appelle le curl. C'était des sensations extraordinaires. Ce sont des souvenirs que je retrouve à chaque fois que je fais du surf.
Vous surfez toujours ?
Je préfère que l'on me demande si je surfe encore (rires). J'adore ! Je surfe devant chez moi à Guéthary dès que les conditions sont possibles, mais aussi à la Côte des Basques (Biarritz), à Lafiténia (Saint-Jean-de-Luz), à Cenitz (Guéthary). Je choisis le bon spot en fonction de la marée, du vent et des gens. Dès que c'est bon, j'y vais.
La Côte des Basques a beaucoup changé depuis la fin des années 50. Quel regard vous portez sur ce spot ?
On n'y met plus le petit doigt dans l'eau... Il y a des leçons de surf les unes à côté des autres toute la journée. Il est impossible d'y surfer. Je ne m'y amuse plus. D'ailleurs, les vagues sont trop petites, pas assez puissantes, même quand c'est gros. Je préfère aller à Lafiténia ou à Parlementia (Bidart/Guéthary). La Côte des Basques, j'ai récemment tiré un trait dessus.
Si vous allez surfer à Lafiténia et à Parlementia, ça prouve que vous êtes sacrément en forme... Bien sûr que je le suis, je m'entraîne tout l'hiver, toute l'année même. Je fais de la musculation pour aller à Lafiténia, à Guéthary et à La Chambre d'amour (Anglet). Je n'ai jamais arrêté de m'entraîner.
Cultivez-vous une certaine nostalgie par rapport au surf du début, celui des années 50 et 60 ? J'aime tellement le surf que je ne suis pas nostalgique. J'essaie d'attendre la nouvelle vague qui sera meilleure que celle d'avant. Je n'ai donc pas de nostalgie, mais plutôt de bons souvenirs, ce n'est pas pareil.
Si un enfant ou un surfeur débutant vous demandait des conseils, que lui diriez-vous ?
Il y a deux-trois choses. D'abord, quand il tombe, d'attendre avant de ressortir la tête de l'eau parce que parfois la planche saute en l'air et elle vous retombe sur la tête. Deuxième chose, ne pas prendre le leash avec le doigt quand la planche part dans une vague. Et qu'il est possible et peu coûteux de mettre un casque, ça évite de se faire mal quand on percute la planche d'un autre surfeur. Pour le reste, c'est de pratiquer, pratiquer et encore pratiquer. Et aller surfer dans toutes les conditions car un jour ce sera mauvais. Et quand ce sera bon, ce sera encore meilleur.
Certaines stars, comme Deborah Kerr et Catherine Deneuve, se sont essayées au surf en votre compagnie. Ça reste de grands souvenirs ?
J'ai donné beaucoup de leçons à plein de gens très différents, à des hommes et des femmes. Je préfère donner des leçons de surf à des femmes, évidemment. Mais je suis un prof en même temps qu'un surfeur, et même qu'un compétiteur. J'adore enseigner aux gens car je pense avoir les bonnes techniques, déjà sur la plage avant d'aller dans l'eau. Quand on a un prof qui vous explique comme il faut faire, ça va beaucoup plus vite dans l'eau.
Vous ne cessez de véhiculer les bienfaits du surf. Êtes-vous du genre à penser que si tout le monde surfait, le monde irait un lieu mieux ?
(Rires) On ne peut pas le dire car ça dépend tellement des gens, de leurs qualités et caractéristiques personnelles. Le surf est excellent pour le mental, l'esprit et le corps. Dans mon livre « La symphonie du vivant » l'épigénétique est une science qui montre comment on peut allumer certaines gènes, en éteindre d'autres, des gènes négatifs par exemple, par le comportement. Or, le comportement du surfeur, qui est constamment en adaptation, en exercice, réveille certains gènes contre l'inflammation, le stress. Donc, le surf c'est bon pour la santé, pour les muscles et l'esprit.
Comment avez-vous vécu cette période de confinement ?
Le confinement, c'est l'anti esprit surf. L'esprit surf, c'est la liberté, l'ouverture. L'océan est mon complice. Je ne l'ai donc pas très bien vécu. Surtout être obligé, par des décisions politiques et technocratiques, d'être enfermé. C'est la privation de liberté qui m'a gêné, et de contrôler la vie de gens. C'est ce qu'appelait Michel Foucault la « biopolitique ». Cette biopolotioque, elle me dérange. Cela ne m'a pas empêché de réfléchir au surf et de faire beaucoup d'exercice chez moi avec des poids, des altères et des rameurs. L'été va donc être bon, j'ai plusieurs planches et j'attends ça avec impatience.
Vous arrive-t-il de suivre les compétitions de la World Surf League, et d'être admiratif de surfeurs comme Kelly Slater, John John Florence, Gabriel Medina ou des Français comme Jérémy Florès ?
John John Florence, je l'adore depuis qu'il est tout petit. J'adore son style, sa famille, son look décontracté. Grâce au live webcast de la WSL, je me connecte et je regarde avec plaisir. Je suis aussi proche de Kai Lenny et des Français.
C'était avec mon copain Joey Cabell, à Hawaii sur les vagues de Haleiwa de Pipeline. J'en ai des souvenirs extraordinaires. On m'a appris à rester dans le tube en mettant la main dans l'eau pour freiner la planche, dans le but de rester le plus longtemps dans le tube. Ça, c'est inoubliable. Joey Cabell est quelqu'un de formidable, un sportif extraordinaire. »