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Notre futur passe par une symbiose entre économie et écologie

Entretien avec Jean-Christophe Féraud pour La Tribune "Spécial 20 ans", 23 novembre 2005

Le rapport Bruntland définit le développement durable comme " un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre ceux des générations futures". Notre mode de vie est-il compatible avec cet objectif ?

Joël de Rosnay : Croissance et consommation à tout prix ne sont pas compatibles avec développement durable et protection de l'environnement. Le développement des sociétés industrialisées soumises aux valeurs de l'économie de marché met en danger l'équilibre du monde. Dans le système actuel, l'économie tourne en circuit fermé, de manière déconnectée de l'environnement. Et les lois du marché ne permettent pas de réguler les effets de l'industrie et des technologies sur l'écosystème. Si l'on veut assurer l'avenir des générations futures, la "marchandisation" sans retenue des biens naturels devra céder le pas à un management écosystémique de la planète. Notre avenir passe par une étroite symbiose entre économie et écologie. 

Mais peut-on vraiment réconcilier économie et écologie ?  

Le concept de "développement durable" oppose trop souvent développement économique et protection de l'environnement dans un affrontement stérile. Je préfère la notion de "développement adaptatif régulé" qui présente trois avantages. Le premier, c'est que l'on considère le développement comme un organisme vivant, qui croît harmonieusement. "Adaptatif", cela signifie que ce développement s'adapte à son environnement. Enfin, la régulation est le rôle des "écocitoyens", chacun étant responsable de ce développement harmonieux. 

Vous pensez donc que "l'écocitoyen" peut l'emporter sur "l'egocitoyen" ... 

Pour l'heure, la prise de conscience n'est pas suffisante. Le chacun pour soi l'emporte sur le chacun pour tous : on prend sa voiture pour aller faire ses courses à quelques centaines de mètres sans penser aux effets de la pollution sur la ville et des émissions de gaz carbonique sur la planète. Éducation, réglementation, incitations fiscales... Il faut tout mettre en oeuvre pour changer les mentalités et modifier les pratiques individuelles de transport, de consommation d'énergie,de biens et de services. Chacun doit se mobiliser à son niveau : citoyens, ONG, pouvoirs publics, entreprises. Seul l'écocivisme au quotidien multiplié par des millions d'individus aura un impact sur l'écosystème planétaire. C'est l'un des choix collectifs les plus importants que l'humanité aura à assumer dans les vingt ans à venir. 

Que pensez-vous du discours sur la "décroissance" ? 

La "décroissance" est une notion un peu vague et utopique. Si l'on veut agir, il faut mettre en oeuvre une politique énergétique équilibrée combinant économies d'énergies et recours aux ressources renouvelables. Il faut aussi contrôler les effets environnementaux de l'activité humaine en réduisant les émissions de gaz responsables de l'effet de serre et du réchauffement. Bref, repenser notre manière de produire, de consommer, de nous déplacer, de concevoir les villes. Dans l'immédiat, il va falloir éliminer progressivement les automobiles à moteur thermique au profit de modes de transports non polluants et silencieux. On peut y arriver sans décroissance ni privation ! 

Et la voiture de demain ?

La voiture hybride, qui comporte deux moteurs, à essence et électrique, est déjà une réalité. Les modèles les plus avancés consomment aujourd'hui 3 à 4 litres aux 100 km, ce qui fait qu'ils émettent deux fois moins de CO2 que les véhicules classiques. Je possède une Toyota Prius : sans faire de pub, c'est la voiture la plus sophistiquée que j'ai jamais conduite. Elle démarre en électrique sans aucun bruit,et si l'on a besoin d'accélérer un peu, le moteur thermique prend le dessus. Un écran indique en permanence d'où vient l'énergie dans la voiture. Quand on lève le pied de l'accélérateur, les batteries se rechargent. On peut aussi choisir le mode électrique pour ne pas polluer dans des garages ou dans les embouteillages. Avec le prix du pétrole, les voitures hybrides sont promises à un grand avenir. Et d'ici vingt ans, les voitures à pile à combustible fonctionnant à l'hydrogène devraient prendre le relais. Je pense que le comportement des automobilistes va changer avec ce type de véhicule, privilégiant le confort, la communication et la sécurité active à la vitesse.

Le nucléaire revient en force. Y aura-t-il une place pour les énergies nouvelles ? 

Je pense que les nouvelles générations de centrales nucléaires vont occuper une place prépondérante dans l'avenir. Les énergies renouvelables constitueront un complément global qui doit se concevoir dans un mix énergétique : dans certains cas, le solaire thermique sera plus rentable que le voltaïque ; dans d'autres cas,ce sera l'énergie éolienne ou la biomasse... L'Europe s'est fixé 20% d'énergies renouvelables d'ici à 2010.Ce n'est pas impossible. Le citoyen peut "voter" pour l'énergie verte en acceptant de la payer plus cher que le nucléaire. Mais les énergies renouvelables devront être encouragées financièrement de manière plus volontariste. 

Le monde ira-t-il mieux dans vingt ans ? 

Le pire est toujours possible. Mais on peut l'éviter en "aimant l'avenir". C'est-à-dire en prenant notre futur en main dès aujourd'hui...