Dans le débat qui anime aujourd’hui notre pays sur le rôle des seniors - notamment dans l’entreprise, par l’intermédiaire de nouvelles formes de contrat de travail - il convient de se poser la question d’un avenir « bouché » par des seniors toujours actifs et bloquant l’accès de jeunes aux emplois. Voici un extrait d’une discussion abordant ce point, suite à une question de Dominique Simonnet.
Dominique Simonnet. : Nous allons donc vers une société de plus en plus âgée, chargée d’expériences et d’histoires. Après le terrorisme du jeunisme qui sévit aujourd’hui, on risque de voir l’avènement d’une dictature des seniors.
Joël de Rosnay : On peut en effet redouter, dans les pays industrialisés, une fracture entre des vieux riches et puissants qui résistent au changement et s’arc-boutent sur leur capital et leurs intérêts, des vieux « classiques » maintenus en état de « vieillissement suspendu » par les prothèses médicales, et des jeunes écrasés par le poids des charges, qui verront leur influence diminuer. Certains pays en développement, qui n’ont pas devant eux cette barrière du vieillissement, émergeront peut-être et deviendront les innovateurs et les créateurs de la société de demain.
François de Closets. : Parmi les bombes que nous laissons s’accumuler il y en a une, destructrice : celle du pouvoir. Le pouvoir politique appartient aux gens qui ont du temps, c’est pourquoi il est actuellement entre les mains des fonctionnaires. Demain, il sera accaparé par la classe des retraités, qui n’a rien d’autre à faire et qui va pressurer la classe active.
JR : Cependant, je crois que notre pays possède une forme de sensibilité intuitive de toutes ces grandes questions qui s’exprime par un mal-être existentiel. La « bombe Longévité », dont nous parlons dans ce livre, serait peut-être l’un des aspects ou l’un des révélateurs de ce grand malaise existentiel.
DS : Il est important de dire et répéter que même s’il y a actuellement un antagonisme grave entre les aspirations individuelles et les réalités de la société, il n’y a pas incompatibilité. Avec un peu de bon sens et d’intelligence, on peut les réconcilier. En un mot, une société de longévité heureuse est possible. A nous de l’inventer.
JR. : On peut penser qu’il existe dans l’humanité des ressorts invisibles de survie et de développement, fondés sur des valeurs implicites, que les grandes religions ont d’ailleurs propagées. C’est bien notre société toute entière et notre avenir que nous remettons en cause en nous interrogeant sur la longévité et la mort. Nous avons maintenant l’occasion de reconstruire une société où on vivra plus longtemps et peut-être, si nous le voulons, en meilleure harmonie les uns avec les autres. C’est un beau défi, non ?
Jean-Louis Servan-Schreiber : On sait que, dans l’Histoire, les vraies transformations de la société ne sont que les résultantes des changements individuels : ceux-ci s’accumulent et finissent par imposer une nouvelle vision. Le seul moyen de maîtriser les contradictions que nous évoquons dans ce livre, entre l’envie individuelle de longévité et les conséquences sur la collectivité, c’est en effet la formation des esprits, l’éveil d’une prise de conscience de chacun. Cela mettra du temps, une ou deux générations, peut-être… Mais nous n’avons pas d’autres choix.