La révolution de la diffusion de l’information annoncée grâce aux blogues, wikis, podcasting et aux moyens de réception plus personnalisés (RSS) occulte un phénomène préoccupant : là où la liberté d'expression est telle l'air que l'on respire machinalement, la pollution commerciale menace l'indépendance journalistique. Ailleurs dans le monde, la situation est au pire catastrophique, au mieux préoccupante.
Essayez d'intéresser votre entourage à ce que vous avez lu, vu ou entendu hier soir sur le Web. Ils vont vous écouter, poliment, cherchant désespérément du regard le collègue avec qui ils pourront échanger sur les vraies choses de la vie, celles qu'ils auront apprises dans le journal ou, surtout, à la télé.
Beaucoup moins limité que les médias traditionnels, le Web permet de contourner le barrage informationnel. Mais l'accès plus universel à l'information signifie-t-il pour autant que nous pouvons nous passer de professionnels aptes à livrer une information journalistique ? Chacun son métier. Celui de journaliste peut s'imiter ; il ne s'improvise pas.
La presse du monde tant libre que non libre, religieuse ou civile, partisane ou non partisane, et le journalisme sont tels un vieux couple. La liberté de l'une, lorsqu'elle existe, celle de la presse, n'est pas forcément celle de l'autre, celle du journaliste. Méditez sur cette nuance.
Certes, il y a encore « une presse indépendante », autre nuance à méditer, mais la concentration des médias est telle que de très grandes entreprises de la presse dite libre dominent ce que les gens voient, entendent et lisent.
Les médias du monde libre ne parviennent plus, ou ne le font que peu, à exercer leur mission d’informer. Nous assistons à une élimination en douce de l’indépendance journalistique qu’assuraient jadis les salles de rédaction. Ce qui rapporte remplace ce que l’on rapporte. Pendant ce temps, les journalistes de l'autre monde vivent sous la crainte constante d'être emprisonnés, quand ce n'est carrément éliminés. Qui s’en soucie vraiment ?
Partout, la disparition des professionnels du traitement journalistique de l'information – au profit d’amateurs plus ou moins éclairés – serait un recul dont ne profiteraient que ceux qui n'ont aucune morale quand vient le temps de s'enrichir.
Les citoyens qui publient et qui échangent dans des réseaux plus ou moins formels, faisant circuler faits et idées, posent un défi aux médias traditionnels, mais souhaitons que ce ne soit pas le défi de leur existence même.
C’est en se situant dans une logique de complémentarité d’information, plutôt que de substitution, que les citoyens reporters maintiendront les médias traditionnels sur le qui-vive, et les forceront à respecter l’indépendance journalistique, pour conserver leur crédibilité, la seule carte du jeu de l’information qui les empêchera de disparaître.
Par Michel Monette