Joël de Rosnay est contemporain du futur. Il ne regarde le présent que dans la continuité des années. 2005, c’est le bourgeon de 2010, la graine de 2020. Et cette vision sur le long terme révèle ce que l’on a sous les yeux et que, pourtant, on ne voit pas. La longévité par exemple. Je n’y avais prêté qu’une attention distraite. Les hommes vivent de plus en plus longtemps, c’est comme ça, que dire de plus ?
Mais, quand on prend conscience que nos petits-enfants ne seront vieux qu’à 85 ans, alors on est bien obligé de s’interroger. Pas seulement sur ce qui va se passer, mais sur ce qui se passe déjà aujourd’hui. Avons-nous pris conscience de la révolution en cours ? Certainement pas. On ne voit jamais ce qui se passe sous nos yeux. Hier il y avait les « petits vieux », aujourd’hui les seniors. On ne les a pas vu venir. Incroyable ! Une nouvelle classe d’âge apparaît et, parce qu’elle n’arrive pas du jour au lendemain, elle passe inaperçue. Nous n’avons pas compris que les nouveaux « vieux » sont « jeunes ». Et ils ne posent problèmes qu’au moment de payer les retraites. C’est manifestement insuffisant.
Joël de Rosnay nous donnait la dimension biologique, les découvertes présentes et à venir, les secrets de longévité. Mais que se passe-t-il dans la tête de ces sexagénaires que l’on dit vieux et qui se sentent jeunes ? Comment aménager cette nouvelle vie libérée du travail et en pleine santé ? Autant de questions qui, tout naturellement, nous orientent sur Jean-Louis Servan-Schreiber. La construction de sa vie, la maîtrise de son existence, c’est son obsession depuis toujours. Et, en prime, ce n’est pas un gourou, rien qu’en esprit dévoré de curiosité.
Mon métier de journaliste scientifique m’a tout naturellement conduit à m’interroger sur les conséquences de la science. Le progrès comme l’on dit. Dès 1970, j’avais publié « En danger de progrès ». Quels étaient donc ces dangers ? Ils résidaient dans les effets secondaires. Les découvertes scientifiques sont en général bénéfiques. Mais elles sont aussi perturbatrices. Or l’on ne prévoit jamais à l’avance ces perturbations. Et quand on les constate a posteriori elles se révèlent très défavorables. Ce schéma s’est mille fois reproduit. Tous les drames de l’environnement en sont la conséquence.
Et, en parlant avec Joël et Jean-Louis, je me suis rendu compte que nous étions tombés dans le même panneau avec la longévité. Nous n’avions rien vu venir et, dans l’euphorie d’une jeunesse prolongée, nous préparions une véritable bombe sociale.
Nous étions complètement fourvoyés en traitant la question de la retraite comme un problème social, en réalité il s’agissait, une fois de plus, d’une ruse du progrès. On n’en sortirait pas sans repartir de la réalité. Il fallait repenser la longévité, les seniors et la retraite afin que ce cadeau merveilleux ne tourne pas au cauchemar.
Ainsi dans nos conversations, nous découvrions que chacun d’entre nous apportait une vision différente d’une même réalité. Visions différentes mais complémentaires jugea Dominique Simonnet avec sa grande habitudes des trios si bien maîtrisée dans ses « Plus belles histoires de… ».
J’avais trop parlé, il ne me restait plus qu’à travailler pour voir si mon intuition première pouvait être confirmée. J’ai lu, j’ai consulté, j’ai cherché et, de tous côtés, la confirmation m’est venue que c’est bien ainsi que se posait la question. Quant à en tirer toutes les conséquences ? Ce sera au lecteur d’abord, aux gouvernements ensuite de poursuivre cette réflexion et de s’armer pour jouir pleinement de sa vie en plus.